Billets d'humeur

  Terre gourmande » Billets d'humeur  »  Dans le pays où je vis, la fierté n est pas un vain mot.


Dans le pays où je vis, la fierté n est pas un vain mot.


J’ai toujours apprécié cette fable d’Alphonse Daudet « Les trois messes basses » célébrant le péché de gourmandise, or voilà t-y pas comme disent les Normands que je sors d’un rêve qui m’a hanté la nuit passée, laissant au réveil sur mes papilles des saveurs, mes amis, des saveurs…extraordinaires !
Une nappe éblouissante de blancheur, des assiettes d’or et de vermeil, couverts en argent poli, chandeliers griffant des bougies écarlates, voici l’ambiance telle qu’elle m’est apparue. Une musique douce, probablement céleste, célébrait tous les noëls du monde. Les convives étaient nombreux, habits d’apparat pour les messieurs, décolletés généreux pour les dames qui ne me laissaient pas indifférent.
Précédée d’un intendant avec canne à pommeau d’argent, la suite des valets était ininterrompue. Les premiers d’entre eux apportaient de longs plateaux chargés d’huîtres d’Isigny et de celles de Saint-Vaast-la Hougue, des crevettes de Honfleur, des moules de Barfleur et des bulots de Granville. Ils étaient suivis de servantes accortes déposant élégamment des Saint-Jacques de Grandcamp-Maisy dans nos assiettes. Ce n’étaient plus que bruits de succions. Le cortège repris sous les acclamations, pensez donc, grenouilles comme à Boulay, salade des chalutiers Fécampois et crêpes Saint-Pierre au pommeau ouvraient la voie au premier trou normand, un calvados du Pays d’Auge hors d’âge couleur jaune paille.
Au coup de canne suivant, apparurent barbues et civets de homard au cidre, soles à la dieppoise et turbot à la normande ce qui fit dire à mon voisin que ça continuait bien. En effet, il ne fut pas déçu. Odorants à souhait vinrent à nous les cailles toutes mignonettes flambées au calvados, les canetons rôtis à la Duclair, des pigeonneaux cauchois, les côtes de veau vallée d’Auge, mais aussi la fricassée de chapons, truffes et cidre, le gigot d’Yvetôt et l’oie en daube d’Alençon et dans de pleins saladiers de la compote de lapereau au cidre et au calvados avant-coureurs de légumiers en habits d’or recelant des pommes-de-terre « bleues de la Manche » et « de Neufchâtel » et à la braytoise, des haricots du Saint Sacrement et des petits carrés de Caen…
Survint un second trou normand, calvados du Domfrontais très vieille réserve, quelques-uns d’entre nous je crois rotèrent, ce qui est très mal venu.
Portés par des couples de laquais, de lourds plateaux en chêne présentaient la ronde des fromages. Bondons, brillat-savarins, briques de Lisieux, Cormeillais, carrés de Bray et pavés d’Auge, camemberts, livarots, trappes de Bricqubec et ponts-l ’Evêque, Bouilles et neufchâtels disputaient le couperet du couteau. Poiré du Domfrontais et cidre du pays d’Auge chaperonnaient d’élégants vins de Loire et de puissants pomerols rougissaient de plaisir et d’abandon les gorges des dames quand les messieurs redoublaient de bons mots.
Je dégustais l’omelette vallée d’Auge et les crêpes à la Bénédictine avant d’entreprendre fallue et teurgoule quand l’éveil me surprit dans l’état que je vous ai confié. En Normandie, il n’y a pas de diable, c’était donc le bon Dieu qui avait ordonné une telle orgie de produits divins, typiquement normands. Je me pris à penser que Bethléem devait être un village du pays d’Auge ou du pays de Bray où naquit l’enfant Jésus, entre un bœuf normand à lunette et bringué, et un âne du Cotentin portant sa croix.
Dans le pays où je vis, la fierté n’est pas un vain mot.
Joyeux Noël à tous.


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