Billets d'humeur

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Et vogue Slowfood


Autrefois, quoique cet autrefois m’apparaisse aujourd’hui comme une autre vie, officier de marine sur des paquebots, j’étais habitué à vanter la munificence des menus, la diversité et la profusion des mets proposés aux passagers aussi ai-je souhaité m’enquérir si la tradition gastronomique de la maison mère, la Transat, perdurait à bord des …cargos.

Le 4 janvier dernier, j’embarquais au Havre à bord du Fort-Saint-Georges, en compagnie de quatre autres passagers et d’environ 400 containers. Le ciel était gris, les prévisions météo catastrophiques et l’avis du sémaphore incitait à l’ajournement de l’appareillage.
Nous partîmes.
Et nous fûmes chahutés dès le rail d’Ouessant, dans le golfe de Gascogne jusqu’aux Açores avec des creux atteignant parfois 13 mètres, une véritable odyssée pour films catastrophes de la Warner et autres superproductions.
Les premiers mots de José Le Hir, pur produit breton et maître coq – roi dans sa cuisine - qui accompagnèrent une franche poignée de main furent pour me demander si je privilégiais à titre personnel de grosses portions, des moyennes ou des petites, si j’étais végétarien ou si quelques subsistances m’étaient interdites ou bien désagréables.
Je rassurai l’homme de l’art, j’étais un client bon enfant, débonnaire et conciliant. Il parut soulagé, deux passagers sur les cinq s’étant déclarés végétariens.
Elle est nickel la cuisine de José ! Certes, certains ustensiles cachent leur âge sous une propreté draconienne, certains autres sont discrètement hors d’usage, la rigueur économique de l’armement passe par ces sacrifices, mais José Le Hir et ses seize années d’embarquement, de métier et de maîtrise a plus d’un tour dans son sac à propos de débrouillardise. Le bât qui blesse les inconditionnels de Slowfood, c’est la courte vue des responsables de l’avitaillement. En effet un appel d’offre est lancé et finalisé auprès d’une centrale d’achats, en l’occurrence située à Rouen, où la marge de négociations sacrifie la qualité et la provenance à la parcimonie du bas de laine. Il en résulte des produits médiocres, ainsi lors du voyage précédent le porc embarqué accusait-il 30 % d’eau… Inadmissible au moment où l’on vous confie la prétention de la compagnie à développer de nouveau le secteur passagers. Inadmissible au regard de la tradition maritime française. Incompréhensible quand on connait l’orientation actuelle d’une clientèle exigeante et qualitative.
A bord des cargos battant pavillon français, seuls l’état-major, le maître coq et le bosco sont Français. L’équipage a pour origine l’Europe centrale et les Philippines. Solution précaire en pleine réflexion les marins de nationalité étrangère percevant des salaires largement inférieurs.
La cuisine de José demeure cependant habile, intuitive et généreuse. Il est aidé par un second, Philippin, qui se consacre aux repas de l’équipage où poulet et riz obtiennent un succès jamais démenti. Et pour améliorer l’ordinaire, commandant et maitre coq fondent en escale sur le marché de Point-à-pitre en Guadeloupe avec une célérité gourmande en puisant dans la modeste caisse du bord.
Amis de Slowfood, vous savez combien les plaisirs de la table sont festifs. Ils célèbrent des plaisirs parfois fort simples où la convivialité est l’amie la mieux perçue. Pour preuve ici le barbecue du commandant. En l’occurrence ce n’est pas le pacha, le vieux, le singe que l’on fait rôtir mais moult côtelettes, saucisses, merguez, lard, sardines accompagnés de salades variées dès que l’atmosphère se réchauffe et que la mer se contente de scintiller paisiblement. Tout l’équipage est convié autour de la piscine, sous les lampadaires, état-major, passagers et équipage sont trois entités qui s’observent, se sourient, trinquent et s’unissent en se découvrant jusque très tard dans la nuit étoilée. Puis la musique s’interrompt, seul le vrombissement sourd de la machine, seul le coup de ciseau de l’étrave accompagnent la lente traversée de l’Atlantique nord en direction des iles sous les Alizées.

Afin de vous amuser mais aussi de mesurer la différence notoire entre le transport des passagers à bord d’un paquebot et le traitement ordinaire des marins sillonnant mers et océans, pour marquer également le changement d’époque, je vous livre deux menus courants :

Paquebot France

Diner du 05 janvier 1972

Queues de langoustines sauce Romick
Terrine de lapereau aux pistaches
Pamplemousse frappé au Marascin
Velouté de Tomates Andalouse
Consommé de volaille Fémina

Saumon de Gave braisé Castel de Nérac
Filet de Charolais Rôti Bressane
Cœur de céleri mijoté à la moelle
Risotto Piémontais
Aubergines de Carpentras Frite Nîmoise
Rognon de veau laitier Grillé Japonaise
Poularde du Lauragais Farcie Rôtie Périgourdine
Gigot de pré-Salé à la Menthe
Dindonneau aux Myrtilles
Langue à l’Ecarlate

Plateau des 27 Fromages

La Coupe Givrée de Pêche Melba
Glace aux Pistaches
Crème à la Vanille –Bavaroise Hollandaise
Petit Moka Parisien – Allumette à la Glace Royale
Les Mignardises France
Corbeille de Fruits

(Extraits…)

Cargo Fort-Saint-Georges

Diner du 15 janvier 2014

Salade niçoise
Rougail saucisse, riz pilaf, rougail tomates
Fromages (4 au choix durant 7 jours)
Salade de fruits
...

Si l’esprit d’aventure anime certains adhérents au pied marin, qu’ils me permettent de fortement conseiller une telle traversée, immersion dans un monde chaleureux et vaillant, où lenteur, observation, méditation sont autant d’atouts dans l’esprit Slowfood prendre le temps d’être heureux.


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